Navigation – Plan du site

AccueilNuméros26Le rugby entre patrimoine, récit ...

Le rugby entre patrimoine, récit et communication. Le cas de Midi Olympique

Valérie Bonnet et Robert Boure

Résumés

Bien que le sport soit devenu un phénomène social majeur, la culture sportive est toujours considérée comme un objet peu noble par les chercheurs français. Aujourd’hui, alors que le rugby quitte sa terre d’élection du Sud-Ouest pour mieux se mettre en scène dans les médias et se vendre aux entreprises, les travaux sont à la fois rares et peu visibles pour le champ scientifique, pour des publics élargis… et pour les milieux rugbystiques, médias inclus. C’est en partie pour sauver ce qui mérite d’être transmis aux générations futures que le monde du rugby découvre à son tour la question patrimoniale. Nous nous attacherons ici à décrypter le rôle joué dans le processus de patrimonialisation du rugby par Midi Olympique, organe de presse écrite désormais totalement dédié à cette discipline sportive. A travers l’analyse de sa position sociale et éditoriale ainsi que de sa stratégie, puis en s’appuyant sur l’analyse de contenu d’un corpus, nous montrerons que Midi Olympique est à la fois acteur et objet - et même doublement objet- de la patrimonialisation.

Haut de page

Texte intégral

Introduction

1Bien que le sport soit devenu un phénomène social majeur à l’échelle mondiale, la culture sportive est toujours considérée comme un objet peu noble par les chercheurs français, du moins quand on mesure l’intérêt scientifique à l’aune des travaux publiés dans les revues éponymes. De sorte que l’on est en droit de se demander si « nos » sciences humaines et sociales (SHS), en dehors des effets de mode, ne restent pas centrées prioritairement sur les objets qui donnent le plus sûrement accès à la légitimité culturelle et scientifique et qui appartiennent aux univers sociaux familiers des chercheurs. Et que dire des recherches « culturelles » sur le rugby ? Naguère, ce « sport de voyous » inventé par et pour (éduquer) les gentlemen anglais excitait peu la curiosité scientifique. Aujourd’hui, alors qu’il quitte laborieusement sa principale terre d’élection — le Sud-Ouest et les stéréotypes qui lui sont accolés et qui « collaient si bien » à la culture rugbystique — pour mieux se mettre en scène dans les médias (inter)nationaux et se vendre aux entreprises, (multi)nationales de préférence, les travaux sont à la fois rares et peu visibles pour le champ scientifique, pour des publics élargis… et pour les milieux rugbystiques, médias inclus.

2Pourtant le rugby présente quelques caractéristiques sociales qui auraient pu interpeller ceux qui, précisément, se sont donné pour tâche de labourer le champ des pratiques culturelles. Tout d’abord, là où il est fortement implanté en tant que pratique et spectacle sportifs, il fait depuis longtemps l’objet d’une consommation à la fois « populaire » et « ostentatoire » (Veblen, 1970), cette dernière étant aussi bien le fait de détenteurs de capital économique local ou national que de capital culturel. À l’instar du champ culturel stricto sensu, le champ rugbystique serait donc propice au déploiement de stratégies de distinction sociale (Bourdieu, 1979), tandis que ses stades appartiendraient à ces lieux où certains vont voir pour être vus. Quant aux styles de jeu des équipes locales et nationales, on sait qu’ils ont — aujourd’hui moins qu’hier, mondialisation oblige — des liens multiples et complexes avec les cultures des territoires d’implantation (Pociello, 1983).

  • 1  Il s’agit essentiellement des règles du jeu, indispensables pour que chacun joue au même jeu, que (...)
  • 2  Voir aussi Pocciello, 1995.
  • 3  On soutiendra, avec Derèze (2000 : 21), que le sport est construit, notamment grâce aux médias, co (...)
  • 4 Le rugby s’est ouvert tardivement à la professionnalisation (1995), notamment en raison de résistan (...)

3Ensuite, comme toutes les disciplines sportives et n’en déplaise aux contempteurs du sport, le rugby est aussi une culture au sens anthropologique du terme, c’est-à-dire un système symbolique porteur de références communes pouvant s’analyser comme « une combinaison spécifique de pratiques, de comportements, de rapports au corps et de systèmes de valeurs caractéristiques du groupe des pratiquants (joueurs, dirigeants, encadrement technique, spectateurs, quand ils ont été pratiquants) » (Darbon, 2002 : 5-6) largement liée au croisement des « propriétés formelles1 »de ce sport (invariants) et des contextes spatio-temporels (variables) dans lesquels il s’insère (Darbon, 2002 : 20)2. Cette culture sportive populaire est, au même titre que les autres, traversée par des récits, grands (avec leurs épopées et leurs héros) et petits (anecdotes de comptoir, propos d’avant et d’après match), médiatiques ou ordinaires, qui contribuent à construire les représentations, structurer les pratiques, nourrir les imaginaires… et rationaliser le réel3. Par ailleurs, elle est aussi confrontée à l’action conjuguée de la mondialisation, de la professionnalisation4 et de la médiatisation, ces redoutables lessiveuses blanchissant les cultures à force de les brasser (Darbon, 1999 ; Pousse, 2001).

  • 5  Parmi les causes de la faible mobilisation publique, on peut invoquer l’insuffisante légitimation (...)
  • 6  On citera pour mémoire le Musée national du sport, créé en 1963 sous la forme d’une mission au sei (...)

4Et c’est en partie pour sauver ce qui mérite d’être transmis aux générations futures (schématiquement un bien commun relativement stable susceptible de faire l’objet d’expériences renouvelées avec le passé) que le monde du rugby découvre à son tour la question patrimoniale. En partie, car dans tous les champs concernés par la patrimonialisation, cette question n’est plus posée uniquement en termes d’histoire, de mémoire et d’identité : elle demande, d’une part, que l’on raisonne en termes de valorisation et donc que l’on interroge le marketing culturel, le marketing des territoires, le tourisme sportif (Porte, 2006) et les produits patrimoniaux, d’autre part, que l’on s’interroge sur les acteurs de la construction et de la valorisation. Dans un champ — le sport en général et le rugby en particulier — où les politiques publiques patrimoniales sont encore balbutiantes5 malgré quelques initiatives emblématiques6, c’est vers les acteurs privés qu’il faut prioritairement se tourner : fédérations, ligues, clubs, médias, particuliers (mécènes, collectionneurs, aficionados), entreprises… Mais alors, on se situe en marge d’une volonté régalienne plus ou moins cohérente d’inventorier, de conserver, de montrer et, en fin de compte, de créer du sacré par une distinction publique et officielle, voire en marge d’une prise de conscience nationale de la valeur du patrimoine sportif, élément indispensable pour sa célébration et son incorporation dans le fonds culturel national… sans pour autant être assuré de trouver des acteurs privés capables de donner de l’épaisseur, de la cohérence et de la légitimité à la patrimonialisation et, en cas de succès, de ne pas abuser de la rareté conférée par le sacré dont on voit bien l’exploitation qui peut en être faite sur les plans économique (la marchandisation) et symbolique (la communication). L’interrogation est de taille, car ainsi que le souligne Legendre (2004), la transmission se fonde moins sur les objets que sur l’acte de transmettre, les montages fictionnels auxquels il donne lieu et les acteurs de la transmission.

5Nous nous attacherons ici à décrypter le rôle joué dans le processus de patrimonialisation du rugby par Midi Olympique (Midol, pour le milieu), organe de presse écrite désormais totalement dédié à cette discipline sportive. À travers l’analyse de sa position sociale et éditoriale ainsi que de sa stratégie, puis en s’appuyant sur l’analyse de contenu d’un corpus, nous montrerons que Midi Olympique est à la fois acteur et objet de la patrimonialisation, ou plutôt doublement objet : par le milieu, car il est considéré comme un élément du patrimoine, et par lui-même, car en mettant en scène le patrimoine, il contribue à construire sa propre patrimonialité. Sur le plan méthodologique, en phase avec une manière de faire répandue en sciences de l’information et de la communication, nous mettrons en perspective l’écriture journalistique comme énonciation et récit avec les conditions sociales de l’énonciation et de la mise en récit.

1. Un média acteur du rugby

  • 7  La plupart des journalistes ont joué au rugby, ne serait-ce qu’au niveau scolaire ou universitaire (...)

6Les études de communication françaises et étrangères ont depuis longtemps démontré la non-extériorité des médias et a fortiori des médias spécialisés vis-à-vis du champ dans lequel ils interviennent, et plus spécialement vis-à-vis des acteurs individuels et collectifs structurants de ce champ, avec une conséquence majeure que l’on peut deviner : la multiplication de relations croisées et complexes génératrices d’interdépendance, de convergences d’intérêts, de connivences, d’ajustements réciproques, de mélanges des genres, mais également d’intrusions diversement acceptées dans le domaine de l’autre, de querelles et de conflits, le plus souvent résolus sur le tas. Non seulement Midi Olympique ne fait pas exception, mais on peut ajouter que ces caractéristiques sont accentuées par sa position quasi monopolistique et par le fait que la Rédaction est largement composée de journalistes appartenant à la « famille du rugby7 », et donc en mesure de partager avec elle l’explicite et l’implicite, de fréquenter les mêmes lieux de sociabilité, d’avoir les mêmes réseaux de relations et de pratiquer au mieux les interfaces.

  • 8  Outre les analyses et comptes rendus des matches des championnats professionnels, les résultats na (...)

7Toutefois, il ne se contente pas d’irriguer le lectorat d’informations de tous ordres8 qu’il a construites, contribué à construire ou simplement relayées et qui font de lui un hybride, mi-média spécialisé, mi « Journal Officiel officieux » du rugby français. Il s’inscrit régulièrement, en prenant position (éditoriaux, articles de fond) ou en laissant la parole à d’autres (entretiens, chroniques confiées à des personnalités reconnues, débats contradictoires, courrier des lecteurs…) dans des débats techniques, éthiques, stratégiques, politiques ou économiques dont l’issue dépend d’instances sportives ou extra-sportives — ministérielles, par exemple — auxquelles il n’appartient pas, mais sur lesquelles il peut peser en raison de son audience et de sa notoriété.

8Il est donc un acteur structurant du rugby. En même temps, il occupe une position particulière qui le distingue des autres acteurs et lui confère une autonomie relative : d’une part, il est en dehors des organigrammes de la Fédération, de la Ligue professionnelle et des clubs, d’autre part, il reste un média, avec ce que cela suppose en termes de revendication d’indépendance éditoriale et de vision partagée du rôle des médias, de pratiques professionnelles, de savoirs et de savoir-faire spécialisés liés à la fabrication intellectuelle d’un dispositif éditorial contenant plusieurs niveaux énonciatifs (les genres, les rubriques, les angles, les titres…), de prise en compte des stratégies éditoriales et commerciales de l’entreprise de presse dont il dépend (le groupe La Dépêche du Midi) et de rapports au lectorat.

  • 9  Selon l’OJD (www.ojd.com, consulté le 29 mai 2008), la diffusion payée moyenne en 2007 pour Midi O (...)

9Il est nécessaire de s’attarder quelque peu sur cette dernière dimension et ce pour deux raisons. D’abord parce que la question du lectorat, et plus généralement des publics, est centrale pour un média. La connaissance de son audience, mesurée pour la presse écrite par l’OJD9, l’évaluation du profil social et culturel du lectorat et l’anticipation de son évolution, la connaissance des horizons d’attente et des « goûts » des lecteurs afin de les intégrer dans les dispositifs énonciatifs et les stratégies commerciales, l’organisation de cadres d’échange avec les publics font désormais partie des préoccupations ordinaires d’une Rédaction. Ensuite parce que, dans un champ où les dimensions communautaires et culturelles sont fortes, la mise à trop grande distance des publics et le refus de l’empathie sont dangereux pour le journal et les journalistes. Contrairement à un journal sportif généraliste comme L’Équipe dont le lectorat est diversifié, le noyau dur du lectorat est composé de pratiquants et d’anciens pratiquants et, en tout état de cause, d’acteurs qui se vivent et s’affichent majoritairement comme des initiés et, pour nombre d’entre eux, comme des membres de la « famille du rugby ». Le lectorat est donc une source d’information, de problématisation et parfois d’expertise, et en ce sens, Midol est un journal de proximité. Il est aussi une « communauté d’interprétation » forte dans la mesure où, en particulier sur les questions vives, il réagit souvent sinon de façon communautaire, du moins en souhaitant porter le débat devant la communauté et en insistant sur le caractère communautaire de ses propres interprétations. Enfin, il est demandeur « d’effets miroir » à dimension communautaire.

2. Un média attaché à la dimension culturelle du rugby

10Depuis sa création, Midi Olympique contribue à reproduire en l’amplifiant un discours dominant dans le champ (« le rugby n’est pas qu’une activité sportive et un spectacle, il est aussi une culture ») ainsi que ses multiples déclinaisons souvent construites sous la forme d’aphorismes dont l’origine est incertaine. La plupart assurent la clôture entre l’intérieur et l’extérieur : « être rugby » établit une séparation entre nous et eux, « le rugby est un jeu où l’on se rencontre » et sa variante « se mesurer à l’autre fait grandir » renvoient à l’amitié, à la famille élargie et aux vertus éducatives. D’autres ouvrent vers l’extérieur à partir de référents internes largement partagés — « école de rugby, école de la vie ». En outre, ainsi que le souligne le sociologue Pierre Sansot (1990 : 9), par ailleurs fin connaisseur des choses du rugby, « le monde du rugby repose sur une immense mémoire collective », régulièrement activée par ses chantres officiels, ses aficionados et ses tam-tam médiatiques, pour parler comme Mac Luhan. Rien d’étonnant dès lors que Midi Olympique se soit rapidement lancé dans la célébration du mémoriel, notamment à partir de ce qu’il sait faire le mieux, la mise en récit, soit en produisant les siens, soit en relayant — avec ou sans traitement spécifique — ceux des autres. Mais pour que son action patrimoniale quitte le rythme de croisière, il a fallu qu’un faisceau de causes convergentes se manifeste, deux d’entre elles, en apparence éloignées l’une de l’autre, étant significatives : la profonde remise en question de la culture traditionnelle du rugby et l’évolution de la notion de patrimoine.

2.1. La remise en cause de la culture traditionnelle du rugby

11La crise de la culture rugbystique traditionnelle qui couvait depuis les années soixante éclate à partir du milieu des années quatre-vingt-dix avec l’apparition, puis le développement rapide à l’échelle mondiale, d’un rugby professionnel qui remet en cause les pratiques, les valeurs et les représentations les plus établies (Darbon, 1999 ; Pousse, 2001 ; Boure, Cassagne, 2007). Or c’est bien connu, c’est toujours dans les moments de crise, lorsque « l’ancien » est profondément déstabilisé et que le « nouveau » est encore mal installé que les interrogations, d’une part, sont les plus vives et, d’autre part, se déclinent sur le mode « avant » et « après », soit pour regretter l’effacement de la tradition, soit pour appeler au changement. La période est alors propice à l’action patrimoniale, puisque d’une certaine façon, patrimonialiser c’est classer et mettre en visibilité sous d’autres formes ce qui a disparu ou est en train de s’effacer, avec l’espoir que le passé qui tend à être moins présent par ses leçons se perpétue à travers des objets matériels et immatériels… à condition que les contemporains soient capables de sortir du passéisme pour en réactiver le sens. Mais encore faut-il que les objets sportifs soient patrimonialisables.

2.2. Sur et sous le patrimoine sportif

12Ainsi que s’interroge Bromberger (2006 : 8)… avant de répondre de façon positive, patrimoine et sport sont « deux notions qui a priori ne semblent pas faire bon ménage […]. Va-t-on sérieusement mettre côte à côte Chambord et le maillot de Zidane, le retable d’Issenheim et une banderole de supporters ? ». En fait, la notion de patrimoine a subi une double évolution.

13La première, largement entérinée par les SHS ainsi que par les autorités et les professionnels du patrimoine, au grand dam de ceux (voir Babelon, Chastel, 1994) qui tentaient de le cantonner dans ses limites traditionnelles, peut s’analyser comme une ouverture vers d’autres domaines (l’industrie, la mode, la gastronomie, les loisirs, la sexualité, la ville, le sport…) et vers des objets autres que les œuvres au sens esthétique du terme et pour la plupart renvoyant à la vie quotidienne d’un territoire ou d’une communauté. De sorte que l’on peut aujourd’hui esquisser les contours du patrimoine sportif : d’un côté un patrimoine matériel composé de sites et de monuments ayant ou non une dimension architecturale avérée (stades, salles de sport…) et des objets mobiliers (œuvres d’art, objets emblématiques du sport…), de l’autre, un patrimoine immatériel rassemblant pêle-mêle les événements rituels — finales, par exemple —, les fêtes et manifestations, les langages spécialisés, les savoirs et savoir-faire, les récits sur les événements et leurs acteurs (journaux, livres, films, bandes sonores, récits oraux…).

14La seconde évolution, qui fait toujours débat dans les SHS et le milieu professionnel, est relative à la valorisation du patrimoine non plus seulement au sens symbolique du terme, mais surtout aux sens économique, commercial et communicationnel (Les Papiers, 1992 ; Porte, 2006). Il semble de plus en plus entendu que pour le tourisme, le développement des territoires ou la consommation communautaire, le patrimoine est aussi un ensemble de ressources à exploiter, après les avoir mises en scène, en médiation et en médiatisation, c’est-à-dire après leur avoir fait subir des traitements à même de faire ressortir leur dimension spectaculaire et facilitant leur accès, au besoin en les faisant entrer dans une logique de marché. Ce faisant, l’acteur du patrimoine se met lui-même en scène, travaille sa notoriété, conforte sa position dans un champ et, au-delà des profits symboliques, peut en retirer des bénéfices matériels directs (produit de la vente de biens et ou de services) et indirects, comme l’augmentation et la diversification du lectorat dans le cas de la presse écrite.

3. Un média dans la construction patrimoniale

  • 10  Les initiatives institutionnelles sont rares, souvent modestes (voir les musées de clubs, y compri (...)

15Si Midi Olympique n’est pas le seul acteur privé de la patrimonialisation du rugby10, du moins est-il un acteur important et surtout un acteur spécifique puisqu’il intervient non seulement en tant que média (et donc principalement à travers sa production éditoriale habituelle soit ses éditions bi-hebdomadaires et son magazine paraissant le premier lundi de chaque mois), mais encore en tant que producteur de magazines ponctuels hors série et d’ouvrages spécialisés relevant du secteur de l’édition. Certains magazines et ouvrages ont au moins deux points communs : leur forte connotation patrimoniale et l’auto-affirmation de la place du Midi Olympique dans la défense et l’illustration de la culture rugbystique. C’est à l’étude de l’un de ces numéros hors série que nous consacrerons l’essentiel de ce développement.

3.1. Des publications à forte connotation patrimoniale

16Si aucun objet n’appartient a priori au patrimoine sportif, il faut admettre que c’est l’acte de patrimonialisation qui le qualifie en fonction de sa capacité à symboliser un référent partagé, mais également des préoccupations « fortes » du moment. De ce fait, en raison de sa caractéristique de média (il met les faits et les acteurs en perspective avec des enjeux plus vastes) et de média de proximité (il est un lieu de mémoire, de rassemblement symbolique d’une communauté imaginaire pour laquelle la culture tient une place de choix, de sensibilisation à certaines questions), Midi Olympique a sans conteste un rôle à jouer tant dans la construction d’un agenda de la patrimonialisation que dans le processus lui-même. Si l’on fait l’hypothèse que dans un sport fortement médiatisé la patrimonialisation passe davantage par la mise en récit régulièrement réitérée (et revisitée par les publics) d’événements « forts » (finales, rencontres mythiques…) et d’acteurs emblématiques (figures, exploits…) que par la présentation d’objets, on peut estimer que les médias qui ont une dimension communautaire ont un rôle important à jouer. Sont-ils pour autant prêts à le faire en dehors de leur production éditoriale régulière ?

  • 11  En fait, tous ces textes on été reformatés soit par leurs auteurs, soit par le Rédacteur en chef, (...)

17Après avoir longtemps hésité à prendre un tel virage, Midi Olympique a modifié récemment sa stratégie. Alors qu’il avait jusqu’ici (co)édité une poignée d’ouvrages, il change sa politique en 2005, afin de profiter du cadre événementiel de la Coupe du Monde de Rugby, mais également parce que la période se prête à cette orientation pour les raisons évoquées plus haut. Entre 2006 et 2007, il édite treize livres, dont dix ont une dimension patrimoniale avérée qui se manifeste dès les titres — Histoires de finales, La mêlée des géants. Une chronique de la Coupe du Monde 2007, Cent ans de Quinze de France, Ombres noires et soleils rouges : cent ans de rugby au Stade Toulousain, Messieurs Rugby. Les grands joueurs français…). Le statut des hors série est plus contrasté puisque l’on trouve des livraisons à faible dimension patrimoniale (comme Rugbyrama, guide de la saison rugbystique créé voilà une vingtaine d’année), des numéros composites (voir le Guide de la Coupe du Monde 2007) et des numéros conçus dans un but patrimonial. Tel est le cas de 50 ans de rugby : 1954-2004 (plus de 37 000 exemplaires vendus) célébrant à la fois le rugby et le journal qui fêtait en la circonstance le cinquantenaire de ses Oscars, récompenses attribuées par les lecteurs à des joueurs qui se sont signalés durant une saison. Aux portraits des joueurs récompensés annuellement esquissés, sont adjoints de brefs comptes rendus « d’époque » de rencontres internationales (une par année) et de finales de championnat de France11.

3.2. 50 ans de rugby : 1954-2004 ou les vertus de l’(auto)patrimonialisation

18Le numéros’ouvre sur les éditoriaux de Jean-Michel Baylet et de Jacques Verdier, respectivement Président et Rédacteur en chef. Les textes sont explicites : on y parle de « petit devoir de mémoire », de « faits d’armes oubliés », « d’anecdotes », de « joueurs qui ont fait l’histoire du rugby », de « héros », de « fil rouge du souvenir », de « rémanence ». On y évoque également l’amitié, le courage, la générosité, la fraternité. Trois dimensions enfin émergent nettement : d’abord, la mémoire plus que l’histoire du rugby français, réactivée à travers les grandes figures et les matches : « s’il s’agit, ici, de reconstituer la vie du rugby sur les cinquante dernières années, on voudrait que transparaissent les parfums, les colères, les plaisirs et les rires de jadis et naguère » (Jacques Verdier) ; ensuite, la dimension familiale du rugby : dans son éditorial intitulé « Une affaire de famille », Jean-Michel. Baylet souligne que « se dessine en filigrane la philosophie même d’un jeu à nul autre pareil, où l’idée de famille prend toute sa place » ; enfin, les valeurs, i.e. les éléments culturels, composantes importantes du patrimoine.

  • 12  « On définira la masse d’un événement […] comme produit du nombre de personnes qui sont affectées (...)
  • 13  Le joueur qui a été plusieurs fois élu Oscar d’or n’est recensé qu’une fois. Pour les autres année (...)

19La patrimonialisation se manifeste ensuite non seulement dans la mise en récit stricto sensu des matches ou des portraits, mais encore dans la manière de construire les thématiques. Ce n’est pas le hasard si les rencontres internationales, celles qui permettent une séparation sur le mode « eux et nous », sont investies d’un fort coefficient patrimonial. Si chaque rencontre est retenue en fonction de sa « masse événementielle12 » revisitée par la mémoire, sont singulièrement mises en exergue celles qui marquent l’histoire de l’équipe nationale : première victoire sur les All Blacks (1954) et sur l’Afrique du Sud (1958), premier Grand Chelem français (1977), première Coupe du Monde (1987), 500e match contre l’Angleterre (1997), victoire contre les All Blacks en demi-finale de la Coupe du Monde 1999. Les finales ont une dimension patrimoniale forte parce qu’elles constituent le point d’orgue rituel d’une saison sportive et qu’elles sont, par choix rédactionnel, mises en perspective avec les Oscars d’or et les matches internationaux. Enfin, les Oscars d’or13 sont l’occasion de rappeler telle ou telle grande figure du rugby en la mettant en perspective avec un match historique (cf. supra), un exploit mythique durant une rencontre, voire une anecdote qui circule encore dans la communauté.

20Ce travail de sélection, de reconstruction, de réordonnancement, de réécriture à travers lequel Midi Olympique propose une remise en ordre du monde social auquel il appartient s’apparente à une achronie au sens où l’entend Cerclet (2003) car « elle joue avec un temps qui n’efface rien et qui est tout entier dans le présent. Elle renvoie à un modèle de société fondé sur des valeurs en d’autres temps éprouvées et d’une actualité probable ».

Le rapport au temps 

21L’achronie se manifeste au niveau des documents sélectionnés. Ainsi, les photographies puisées dans les archives du journal sont relativement homogènes : la plupart, cadrées en plan de demi ensemble, montrent des joueurs en action, ce qui donne à l’ensemble iconique une dimension « uniformément » spectaculaire et bien souvent aspatiale et atemporelle, d’autant que les légendes ne permettent pas de situer les actions de jeu ; en outre, elles sont massivement en noir et blanc. Le passage à la couleur est conditionné non par le temps de la technique, mais par celui du rugby car il coïncide avec le moment où le rugby devient professionnel. De la même manière, les articles choisis pour remémorer et commémorer les matches sont des comptes rendus généraux ; le système des temps de la narration permet de se placer autant dans une temporalité proche que lointaine, d’autant que nombre de textes semblent échapper à l’ancrage temporel de l’énonciation (ainsi, il y a peu de déictiques dans les textes).

22Le rapport au temps est également perceptible dans les mises en perspective : si les comptes rendus pratiquent peu cette manière de faire, les portraits, fortement remaniés, l’exploitent largement. Ainsi, l’avant-dernier (p. 214), s’ouvre par une référence très appuyée au premier portrait ; ce rapport entre le présent et le passé (comme il est présent dans l’évocation du devenir des anciennes gloires) est complété par un lien entre le présent et le futur (« Harinordoquy peut être la future icône de toute une génération » — p. 218).

  • 14  Les portraits sont les éléments clés de cette mise en perspective : ainsi, le parcours d’un grand (...)

23Derrière ce mouvement passé/présent/futur, c’est la question de la transmission qui ressurgit, et qui rappelle que Midi Olympique est fortement investi dans cette « mission », notamment dans les chroniques de ses éditions rouge et verte ainsi qu’au travers de sa maison d’édition dont un des objectifs est la transmission intergénérationnelle de la culture du rugby. Cette dynamique est renforcée par un type de légendes très présent dans les textes, les « légendes extrapolantes » (Derèze, 2005), c’est-à-dire celles qui projettent dans le futur. Elles sont l’indication de la mise en perspective « historique » du magazine qui, in fine, se présente comme une série de coupes synchroniques14 reliées par des éléments péritextuels visant à créer une homogénéité et cimentées par une logique de sélection et d’ordonnancement.

24En d’autres termes, 50 ans de rugby est un savant dosage d’éléments d’époque et de réactivation mémorielle, reprenant et étendant la logique de l’article sportif qui serait « moins souvent le compte rendu d’un événement, lequel a été suivi en direct par l’amateur à la télévision, que sa relecture, son analyse, la relation d’une spontanéité et d’une émotion » (Lits, 1996 : 75). Cela étant, on peut se demander si l’effet pragmatique recherché perdure au-delà du temps de la lecture.

Mise en ordre

  • 15  Les filiations peuvent être réelles (elles renvoient alors aux nombreuses dynasties et fratries de (...)

25Pour structurer les espaces temporels, on construit fréquemment des périodes que l’on articule par des ruptures et des continuités. Ici, afin de rendre intelligibles ces récits historiques et mémoriels et légitimer les choix patrimoniaux, il a fallu non seulement périodiciser, mais encore mettre en évidence des continuités ainsi que des points de rupture ou d’infléchissement. Les continuités sont d’abord soulignées sur le plan formel par les consignes données pour le reformatage et la réécriture des textes et par la récurrence de l’organisation (pour chaque année : match international, finale du championnat de France et portrait). De même, les choix chromatiques des photographies soulignent autant les continuités entre le rugby des années cinquante et celui des années quatre-vingts que les transformations (amateur vs professionnel). Bien entendu, le traitement éditorial va dans le même sens. Ainsi, les portraits ont une ambivalence fonctionnelle : ils fournissent des occasions de rappeler des continuités, par exemple à travers des filiations15, ou de marquer des ruptures, en particulier celle du professionnalisme. Dans les comptes rendus des rencontres, à la ritualité des matches du Tournoi des 5, puis 6, Nations ou de la Coupe du Monde, s’oppose la discontinuité des tournées dans l’Hémisphère sud.

  • 16  Le statut indiciaire (Peirce) de la photographie fait d’elle une empreinte et une attestation. Le (...)

26Par-delà les dimensions formelles et éditoriales, l’ultime fil directeur de la continuité est le journal lui-même. Les articles génèrent le sentiment d’un « avoir été là » (Barthes) : en proposant aux lecteurs un ensemble d’articles contemporains des faits évoqués, on cherche moins (ou autant) à rappeler leur réalité et leur patrimonialité que la présence de Midi Olympique au moment et sur les lieux où ils se sont produits. Les articles sont des traces de cette présence, que renforcent les photographies16.

De la célébration d’une culture à l’autocélébration d’un journal

  • 17  Par exemple, la seconde Coupe du Monde est sacrifiée au profit d’un match du Tournoi des 5 Nations (...)

27La mise en intelligibilité proposée est idiosyncrasique. S’il couvre bien « 50 ans de rugby », ce hors série est néanmoins construit autour de choix de rencontres et de joueurs, de clubs et d’équipes nationales, les unes étant des prétextes pour parler des autres et inversement17. Mais, dira-t-on, c’est le cas de tout récit sportif. Or ce qui fait la spécificité de ce récit, et au-delà du récit médiatique rugbystique, c’est que les étapes de la chronologie sont surtout affectives et identitaires et qu’elles apparaissent comme des moments forts que seuls les membres de la communauté peuvent connaître ou reconnaître. Ainsi, sont évoquées essentiellement des victoires (ou des « victoires morales » qui sont parfois des défaites), des matches contre l’Angleterre, l’ennemi intime, ou contre les équipes les plus prestigieuses (Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud et Australie). La Roumanie, l’Argentine et l’Italie, équipes secondaires, sont absentes ou à peine citées.

Conclusion

  • 18  On citera pour mémoire le Dictionnaire amoureux du rugby de Daniel Herrero (2003, Paris, Plon). So (...)
  • 19  Si les textes, et tout particulièrement ceux des portraits, s’attardent volontiers sur les valeurs (...)

28Si l’on veut bien suivre Moirand (2007), les points d’inscription de la « mémoire interdiscursive médiatique» dans les textes à énonciation subjectivée de la presse écrite se situent largement dans les formes de l’interdiscursivité suggérée. Ainsi, on relève une autoréférence au milieu au travers d’expressions comme « l’essai du siècle », « la contre attaque du bout du monde » (p. 175), de traits d’humour, d’énoncés ou de fragments d’énoncés tels les proverbes et aphorismes, de rappels de surnoms affectueux (« le petit Prince » pour Didier Codorniou, « le petit Caporal » pour Jacques Fouroux). Tous ces procédés linguistiques fonctionnent comme des mots de passe et cherchent à provoquer un sentiment de connivence avec le lecteur. Cette mémoire des mots et par les mots est un élément patrimonial fort de la culture du rugby que l’on retrouve non seulement dans la presse spécialisée, mais aussi dans ces produits éditoriaux spécifiques que sont les dictionnaires d’expression18 ou les livres de citations. Et cette culture ici célébrée est présentée in fine comme une expérience transmise dans une aire géographique limitée (schématiquement la moitié sud de la France), façonnée par des mythes, des images, des symboles, des figures, des pratiques, des récits et mettant en exergue des valeurs fortes, parmi lesquelles celles du groupe, de la solidarité, du don de soi19.

29Mais en mettant la culture et au-delà le patrimoine en récit, Midi Olympique ne se contente pas de les célébrer et de les transmettre, il s’y inclut comme acteur structurant (« 50 ans de rugby — 50 ans de Midi Olympique — 50 ans d’Oscars » annonce Jean-Michel Baylet dans son éditorial). Car ce ne sont pas seulement des événements et des joueurs qu’il exhume pour l’occasion des archives : ce sont aussi ses articles et ses photographies, ses journalistes et ses photographes, ses coups de cœur et ses colères. À côté de la chronologie historique, somme toute secondaire, s’égrène au fil des pages une chronologie mémorielle affectivo-identitaire, autocentrée, revisitée en fonction du présent du rugby français tel qu’il le voit et du présent du journal lui-même… Mais aussi une chronologie mémorielle soucieuse de ses liens avec le lectorat dont le noyau dur, rappelons-le, est composé de pratiquants et d’anciens pratiquants.

30Sans que cela choque ses lecteurs et plus généralement le milieu, Midi Olympique s’est autoproclamé « L’hebdo du rugby » (c’est son sous-titre) de la même manière qu’il s’est construit comme un « dépositaire-relais » (Derèze, 2005) de la mémoire et du patrimoine de ce sport. En éditant ce hors série, il se met lui-même en scène pour mieux contribuer à façonner le patrimoine du milieu dont il est le média le plus ancien, le plus notoire et le plus emblématique, 50 ans de Rugby constituant un indexical des éléments dudit patrimoine, qui lui-même contient ses propres productions éditoriales. Parce qu’il patrimonialise, il s’autopatrimonialise, et réciproquement. Dès lors, la question est moins de s’interroger sur la légitimité d’un processus inévitable en raison du rôle social des médias, que sur les risques sinon d’instrumentalisation, du moins de « privatisation » d’un bien commun, surtout si le patrimoine reste durablement un enjeu mineur pour les autres « forces vives » de l’ainsi nommée « Ovalie ». Mais cela est une autre histoire…

Haut de page

Bibliographie

Babelon, J.-P., Chastel, A., 1994, La notion de patrimoine, Paris, Liana Levi.

Boltanski, L., 1965, « La rhétorique de la figure », in Bourdieu, P., dir., Un art moyen, Paris, Éditions de Minuit, p. 173-198.

Bonnet, V., 2007, « Parler rugby », in Guillain, J.-Y., Porte, P., dirs, La planète est rugby. Regards croisés sur l’Ovalie, Biarritz/Paris : Atlantica/Séguier, p. 253-274.

Bourdieu, P., 1979, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit.

Boure, R., Cassagne, J.-M., 2007, « Le rugby est-il soluble dans ses valeurs ? », colloque Rugby, médias, éducation et transmission des valeurs, universités Montpellier 1 et Montpellier 3, Béziers, 13-15 juin, actes à paraître.

Bromberger, C., 2006, « De la notion de patrimoine sportif », Les Cahiers Espace, n° 88, p. 8-12.

Cerclet, D., 2003, « Entretien avec », en ligne : http://www.cmtra.org/spip.php?article364.

Darbon, S., dir., 1999, Rugby d’ici. Une manière d’être au monde, Autrement, n° 183.

Darbon, S., 2002, « Pour une anthropologie des pratiques sportives. Propriétés formelles et rapport au corps dans le rugby à XV », Techniques et Culture, n° 39, p. 1-27.

Derèze, G., 2000, Sport(s) et médias, Rapport réalisé à la demande de la Fondation du Roi Baudouin, université de Louvain-la-Neuve, Belgique.

Derèze, G., 2005, « Le sport et ses légendes… photographiques. Réflexion sur un mode de traitement du sport dans la presse écrite », in Baudorre, P., Boucharenc, M., Brousse, M., dirs, Écrire le sport, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, p. 79-90.

Fournier, L.-S., 2007, « Du Musée de l’Ovalie au Train du rugby. Expositions, patrimoine ethnologique et transmission des valeurs sportives », colloque Rugby, médias, éducation et transmission des valeurs, universités Montpellier 1 et Montpellier 3, Béziers, 13-15 juin, actes à paraître.

Legendre, P., 2004, L’inestimable objet de la transmission. Étude sur le principe généalogique en Occident, Paris, Fayard (1re édition : 1985).

Les Papiers, 1992, n° 9 : Patrimoines en débat. Construction de mémoire et valorisation du symbolique.

Lits, M., 1996, Récit, médias et société, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia.

Moirand, S., 2007, Les discours de la presse quotidienne. Observer, analyser, comprendre, Paris, PUF.

Moles, A., 1972, « Notes pour une typologie des événements », Communications, n° 18, p. 90-96.

Pociello, C., 1983, Le rugby ou la guerre des styles, Paris, Métailié.

Pociello, C., 1995, Les cultures sportives, Paris, PUF.

Porte, D., dir., 2006, Patrimoine sportif et tourisme, Les Cahiers Espaces, n° 88.

Pousse, M., 2001, Rugby : les enjeux de la métamorphose, Paris, L’Harmattan, « Espaces et temps du sport ».

Rousso, H., dir., 2003, Le regard de l’histoire. L’émergence et l’évolution de la notion de patrimoine au cours du 20e siècle en France, Actes des Entretiens du patrimoine, Paris, Fayard/Éditions du Patrimoine.

Sansot, P., 1990, Le rugby est une fête, Paris, Plon.

Veblen, T., 1970, Théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard (1re édition allemande : 1899).

Haut de page

Notes

1  Il s’agit essentiellement des règles du jeu, indispensables pour que chacun joue au même jeu, que les compétitions puissent être organisées et que les publics comprennent ce qui se passe sur le terrain.

2  Voir aussi Pocciello, 1995.

3  On soutiendra, avec Derèze (2000 : 21), que le sport est construit, notamment grâce aux médias, comme « un récit total, un macro-récit constitué de nombreux récits et micro-récits enchâssés ».

4 Le rugby s’est ouvert tardivement à la professionnalisation (1995), notamment en raison de résistances culturelles liées à ses origines aristocratiques anglaises, à ses valeurs et à son « économie générale » : schématiquement, la communauté des pratiquants s’est historiquement construite en marge de l’utilité et du travail et autour de ce que ses membres ont en commun, la pratique en amateur d’un sport valorisant largement la solidarité, l’amitié, l’esprit de famille, l’engagement et la dimension ludique.

5  Parmi les causes de la faible mobilisation publique, on peut invoquer l’insuffisante légitimation du sport dans le champ culturel ou le faible intérêt des publics pour la conservation, la monstration et la réception du patrimoine, du moins si l’on mesure cet intérêt au nombre d’entrées dans les lieux dédiés.  

6  On citera pour mémoire le Musée national du sport, créé en 1963 sous la forme d’une mission au sein du Secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports, devenu établissement public administratif en 2006 et labellisé « Musée de France » en 2004, et le Stade de France, construit par l’État, mais géré par un consortium privé, monument largement ouvert à la fréquentation touristique rentable pour l’exploitant (plusieurs parcours muséographiques sont proposés).

7  La plupart des journalistes ont joué au rugby, ne serait-ce qu’au niveau scolaire ou universitaire. Les correspondants locaux sont souvent des (anciens) dirigeants qui occupent des fonctions secondaires dans les clubs et/ou dans les Comités régionaux ou départementaux de la Fédération Française de Rugby.

8  Outre les analyses et comptes rendus des matches des championnats professionnels, les résultats nationaux (jusqu’aux séries inférieures, en passant par les « jeunes » et les féminines) et internationaux, des articles de fond ou des dossiers (sur les clubs, les joueurs, les entraîneurs, l’évolution du jeu ou des compétitions, la culture rugbystique, les aspects techniques) — éléments que l’on trouve habituellement dans des quotidiens sportifs comme L’Équipe —, Midi Olympique publie régulièrement des informations sur la vie des clubs et des comités régionaux (potins compris), des informations — commentées ou non — venant d’instances officielles, des avis de décès, de mariage et de naissance, des petites annonces réservées aux clubs et aux pratiquants — autrement dit, des informations ayant de fortes dimensions communautaires.

9  Selon l’OJD (www.ojd.com, consulté le 29 mai 2008), la diffusion payée moyenne en 2007 pour Midi Olympique « rouge » (lundi) est de 83 960 exemplaires et de 29 472 pour Midi Olympique « vert » (édition du vendredi créée en 2006).

10  Les initiatives institutionnelles sont rares, souvent modestes (voir les musées de clubs, y compris les musées virtuels, tel celui du Stade Toulousain, accessible par Internet) et leur succès n’est guère assuré : si le Train du rugby, exposition itinérante mise en place par la Fédération en partenariat avec la SNCF, a accueilli un nombre significatif de visiteurs dans les 112 villes-étapes qu’il proposait avant la Coupe du Monde (4 mai-18 novembre 2006), le Musée de l’Ovalie, situé sur une aire d’autoroute dans les Corbières, a été contraint de fermer, notamment en raison du petit nombre de visiteurs, des critiques émises par les publics (aficionados surtout) et des coûts générés par son exploitation (Fournier, 2007). Les initiatives individuelles sont plus nombreuses et plus originales, mais tout aussi risquées. Parmi les réussites (plus de 10 000 visiteurs par an), on signalera Notre-Dame du Rugby, chapelle des Landes restaurée dans les années soixante par un prêtre, lui-même ancien joueur. Elle abrite des « reliques » (maillots et crampons ayant appartenu à des joueurs célèbres), des vitraux (La touche de la Vierge, La Vierge au-dessus de la mêlée…), des souvenirs ainsi que des témoignages et des prières laissés par les visiteurs sur un Livre d’Or.

11  En fait, tous ces textes on été reformatés soit par leurs auteurs, soit par le Rédacteur en chef, tandis que les portraits des joueurs « oscarisés » ont été « réactualisés en fonction non seulement de leur carrière, mais aussi de l’histoire de leur vie d’homme » (Baylet, éditorial).

12  « On définira la masse d’un événement […] comme produit du nombre de personnes qui sont affectées dans leur sphère personnelle par le degré d’affection [ou de participation ou d’émotion] qu’elles en subissent » (Moles, 1972).

13  Le joueur qui a été plusieurs fois élu Oscar d’or n’est recensé qu’une fois. Pour les autres années, il est remplacé par un Oscar d’argent ou de bronze. En général, il est sélectionné l’année où la Rédaction estime rétrospectivement qu’il s’est le plus illustré : ainsi, Serge Blanco, nominé en 1982, 1983, 1989, 1990, 1991, 1992 est recensé en 1989, année où il est le meilleur marqueur du Tournoi des 5 Nations.

14  Les portraits sont les éléments clés de cette mise en perspective : ainsi, le parcours d’un grand joueur est le prétexte à la traversée d’une époque par l’évocation de son club, d’une équipe de France prestigieuse à laquelle il a appartenu ou d’une époque (« Philippe Saint André, c’est un pan de l’histoire du rugby moderne, c’est un monument : 69 sélections » — p. 174).

15  Les filiations peuvent être réelles (elles renvoient alors aux nombreuses dynasties et fratries de rugbymen) ou symboliques (Didier Codorniou, « héritier de Boniface, Maso, Nadal et Sangali, père spirituel de Sella et de Charvet » — p. 135).

16  Le statut indiciaire (Peirce) de la photographie fait d’elle une empreinte et une attestation. Le travail éditorial ne peut se passer de ce complément pictural, la photographie de presse étant le mode d’attestation le plus probant de l’existence des faits (Boltanski, 1965 : 174 sqq), mais aussi de l’ancrage du récit dans une époque.

17  Par exemple, la seconde Coupe du Monde est sacrifiée au profit d’un match du Tournoi des 5 Nations contre le Pays du Galles qui voit les « adieux au Parc des Princes » de Serge Blanco. Il s’agit en outre d’un petit arrangement avec l’histoire, puisque la carrière de Blanco s’achève la même année lors de la Coupe du Monde, dans un match perdu contre l’Angleterre.

18  On citera pour mémoire le Dictionnaire amoureux du rugby de Daniel Herrero (2003, Paris, Plon). Son auteur a d’ailleurs conscience de la portée patrimoniale de son oeuvre : « Près de deux siècles après la naissance du jeu dans l’Angleterre victorienne, novices et initiés partagent désormais une culture faite de règles officielles et officieuses, d’un langage, de rituels, d’un patrimoine dont certains chefs-d’œuvre sont en péril et, plus important que tout, d’un esprit ! » (quatrième de couverture).

19  Si les textes, et tout particulièrement ceux des portraits, s’attardent volontiers sur les valeurs, le choix des photographies concourt à renforcer cet axe de traitement. En effet, de nombreux plans de demi ensemble montrent les individus au sein des groupes, valorisant ainsi les collectifs.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Valérie Bonnet et Robert Boure, « Le rugby entre patrimoine, récit et communication. Le cas de Midi Olympique »Semen [En ligne], 26 | 2008, mis en ligne le 01 mars 2009, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/semen/8472 ; DOI : https://doi.org/10.4000/semen.8472

Haut de page

Auteurs

Valérie Bonnet

Lerass, Université Toulouse 3

Robert Boure

Lerass, Université Toulouse 3

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search